Palimpseste : Parc Hanganu
Proposition finaliste non retenue pour le réaménagement du parc Dan-Hanganu
Concours d’architecture de paysage pluridisciplinaire
Île-des-Sœurs, Montréal 2021
En collaboration avec CLC Diana Cardas Architecte et Gravitaire Génie Civil
Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel? Mon cerveau est un palimpseste et le vôtre aussi. Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri.
Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels
Comme le manuscrit effacé sur lequel on intervient à nouveau, le parc a été repensé, réécrit, tout en conservant une trace de ses aménagements passés. Ce nouvel espace à parcourir est aussi, une fois de plus, marqué, investi et enrichi dans son imaginaire par autant de circulations et de passages de visiteurs et de citadins. Les fines couches de vécu se superposent, telle une histoire réinventée sans cesse, avec comme toile de fond, un hommage à la mémoire de Dan Hanganu.
L’écriture se fait sur la trame existante et les couches se multiplient. Des nouveaux passages sont ajoutés à ceux existants mais réécrits, qui traversent les différentes zones d’activités. Quelques nouveaux sentiers divergent pour nous conduire vers l’aventure. Des petits ou moyens espaces sont positionnés de façon à rassembler les différents utilisateurs. La nouvelle végétation s’écrit sur l’ancienne. Le jardin de pluie, en plus de sa fonctionnalité réglant les accumulations d’eau, nous interpelle, nous fait explorer la biodiversité.
Dernière écriture, les éléments commémoratifs, subtils, éparpillés, nous invitent à l’exploration et au partage d’émotions.
Un parc d’interactions
L’hommage se retrouve dans la mise en forme de parc. Repensé pour en faire un espace à explorer, engageant pour le corps et l’esprit, il fait écho à la notion de parcours, de procession, qui a marqué l’œuvre de Dan Hanganu. L’utilisation de la couleur rouge, la couleur signature de l’architecte, et du triangle, sa forme fétiche, sont des références au langage formel de ce grand créateur.
Tout comme dans plusieurs projets de Dan Hanganu, notre proposition vise la mise en place d’un réseau cohérent d’espaces connectifs qui vont permettre les rencontres et les interactions. Nous proposons une suite d’espaces, de lieux de passage, de jeu et de détente, le tout à travers des porosités autorisant la rencontre des citoyens, renforçant ainsi le rôle actuel du parc Dan Hanganu comme lieu de sociabilité à l’échelle urbaine locale.
Un hommage à l’espace, l’art et le regard
L’architecture est espace, œuvre d’art, regard. Dan Hanganu
Le parc se veut symbolique. La commémoration de cet architecte est surtout dans l’esprit qui s’en dégage, par les matériaux, les formes, les couleurs, les ondes. L’espace, l’art et le regard sont les éléments constitutifs intégrateurs, tout comme le lien avec la commémoration. L’esprit de liberté, inhérent (ou presque) à la nature, se conjugue au présent avec la vie et l’œuvre de Dan Hanganu.
À la fois exubérants et rationnels, massifs et légers, les éléments utilisés pour l’aménagement mettent en place des matériaux clés utilisés par l’architecte notamment la pierre et le métal perforé, les formes fétiche (le triangle décliné de plusieurs façons), la couleur rouge, et la lumière naturelle et artificielle.
Un hommage à l’espace, l’art et le regard
À travers le parcours du parc, comme un palimpseste que l’on déroule pour en découvrir les surprises, se trouvent des installations sensibles évoquant des thèmes chers à Hanganu, des clins d’œil à ses origines, à sa personne et à son architecture. Conçues pour la communauté, elles font écho à une architecture qui fait du bien, au service des citoyens.
1 L’Envol :
Métaphore de l’envol, comme un rite de passage, l’installation est composée de deux éléments formant des triangles en plan et en élévation, image d’ailes d’oiseaux, ou des anges si chers à Hanganu.
Dans la mythologie, l’oiseau porte l’esprit des dieux, et le vol est assimilé à une hypostase supérieure de l’être. Il symbolise la libération du côté matériel et a souvent été comparé aux anges. Peu importe la culture : l’envol suggère la liberté.
Dans la culture des ancêtres des roumains, les Dacs, la mort du corps était célébrée, le corps incinéré et les gens se réjouissaient de la libération de l’âme qui prenait la forme d’un oiseau, ou était transporté par un oiseau (L’oiseaux-âme). Le rituel de l’Oiseau-Âme est encore présent dans certaines zones de la Roumanie et on voit sa représentation sur différents objets.
Il y a aussi un rapport avec Pasarea maiastra (l’oiseau magique en traduction pas tout-à-fait exacte…) de Constantin Brancusi, sculpteur d’origine roumaine très cher à Dan Hanganu. La Maiastra est le symbole du vol qui libère l’humain des limites de la matière inerte, tel que décrit par Brancusi lui-même. En se consacrant près de 40 ans au thème de l’oiseau, Brancusi arrive à la forme épurée de L’oiseau dans l’espace. L’oiseau magique des contes se transforme lui-même et renaît d’une apparence précédente, tel le Phénix de l’Antiquité.
Les éléments en acier de couleur rouge de l’Envol sont simples, élégants, porteurs.
2. Le Passage :
À la fois ludique et poétique, le Passage est une installation composée de formes géométriques qui fait écho à l’architecture. Cette bande d’acier perforé dans laquelle se trouvent des ouvertures sert à la fois de mobilier, de mur d’escalade informel et de délimitation entre deux zones. Jeu de passages en porosité et transparence, l’installation rappelle l’arche des portes et le cadre des fenêtres. L’utilisation du métal perforé, des formes en triangle et de la couleur rouge, le Passage est un autre clin d’œil à l’œuvre de Hanganu.
3. La Lumière :
Installation lumineuse suspendue qui prend place à travers les arbres. Évocation de la lumière et la brillance dans l’œuvre de Dan Hanganu. Elle crée une ambiance douce et chaleureuse, conviviale et rassembleuse.
4. L’Objet :
Installation multifonctionnelle qui évoque le cadre bâti et l’architecture. Cet élément de mobilier urbain peut servir à la fois de gradins, de lieu d’attente, de point d’observation et d’espace de pique-nique informel. En été, il devient le centre de rassemblement pour les groupes de camp de jour. Avec ses formes triangulées et des matériaux naturels, L’OBJET est à la fois architectural et utilitaire.
5. La Liberté :
Un hommage à la liberté qui prend la forme d’un geste graphique apposé sur la clôture existante aux abords du terrain de sport. Il évoque l’esprit libre et non conformiste qui donne des ailes aux créateurs, si évident dans la personne et l’architecte auquel on rend honneur. La Liberté fait aussi référence aux évasions, réelles et imaginaires, au décloisonnement, au non-conformisme.
6. Le Mouvement :
Une installation composée d’éléments multi-usages qui favorisent l’activité physique. Il s’agit de mobilier varié, notamment de type plateforme, parkour, assise et de musculation. Clin d’œil à une architecture en transformation, mouvante, ouverte et inclusive.
7. La Fresque :
Il s’agit d’un grand geste graphique coloré peint au sol sur les terrains sportifs. Il est fait dans un nuancier fort et contrasté. Hommage aux architectures peintes de la Moldavie, région de naissance de Hanganu.
8. La Contemplation :
Aire de contemplation composée d’éléments de mobilier de détente et orientés vers le boisé. Cet espace offre des vues cadrées sur la beauté du paysage. Moment de ressourcement, une pause dans le parcours, avec un regard vers l’extérieur du parc, laissant l’esprit se poser, flâner, communier avec la nature.
La stratégie végétale
Telles les couches d’écriture évanescentes du parchemin ancien, ainsi vont les successions de strates de végétaux qui se relaient d’une saison à l’autre. Les parfums, les couleurs et les ambiances s’enchaînent, disparaissent et se réinventent, année après année. La palette végétale aux accents grenat se déploie comme les iconiques tapis rouges de l’œuvre de Dan Hanganu. Les jardins évoquent l’âme et l’esprit. Ils sont l’espace du philosophe, le repère des créateurs.
Judicieusement choisis, les végétaux contribuent grandement à la nouvelle écriture. Que cela soit des érables pour remplacer les frênes mourants, des arbres fruitiers comme Dan Hanganu aurait beaucoup aimé, des conifères pour leur présence bénéfique aux oiseaux en hiver, des nouveaux arbres s’ajoutent aux existants précieusement gardés. Dans les sous-bois, des plantes indigènes adaptées au peu de lumière et sans besoin de beaucoup d’entretien égaient le parcours. Le jardin de pluie et les autres zones de biodiversité écologique attirent et nourrissent les pollinisateurs et les oiseaux. Les jardins communautaires se déploient, la nature nous alimente. Un nouvel écosystème se mets en place.
Palimpseste est un projet honnête et sensible qui propose, tel que Dan Hanganu l’a toujours fait, de continuer l’histoire tout en gardant une écriture contemporaine. Il vous propose aussi une incursion symbolique et presque magique dans l’existence de ce créateur.